Damien Comment et la nature désenchantée
Damien Comment
Contemplation d’un paysage incandescent, 2020
Technique mixte sur polyester, 91.4 x 55 cm
Inv. 2777
Collection jurassienne des beaux-arts, Porrentruy
Les êtres de Damien Comment ne sont pas ceux des contes. Ce sont les enfants d’aujourd’hui qui hantent les décors du peintre[1].
Damien Comment (*1977) est un artiste peintre, graphiste, scénographe et réalisateur de costumes de théâtre. Né à Delémont, il vit et travaille à Bâle.
Encapuchonné, les mains dans les poches de son sweat, campé sur ses deux jambes, le protagoniste solitaire, furieusement contemporain, juché sur un promontoire rocheux, contemple un paysage aux couleurs incandescentes et intrigantes.
Dès le premier regard, la peinture de Damien Comment renvoie à une œuvre majeure de l’histoire de l’art, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich. Le personnage qui surplombe la scène apparaît lui aussi de dos. On ne voit pas son visage et une partie du paysage est dissimulée par sa seule présence. Son attitude mélancolique et magistrale, relayée par les éléments naturels du second plan, fonctionne comme une mécanique mimétique des sentiments de l’homme. L’être humain et la nature ne font pour ainsi dire plus qu’un. L’atmosphère brumeuse accentue cette impression.
Dans le paysage de Damien Comment, sur les tons chauds du ciel rougeoyant, à la manière d’un coucher de soleil estival, s’éparpillent par dizaines des lucioles incandescentes.
Cependant, une seconde lecture plus attentive dissipe la quiétude de cette atmosphère pour laisser place à la contemplation d’une nuée de braises ardentes, filant comme autant d’étoiles dans un ciel flamboyant, créant un sentiment ambivalent, mémoire fantôme d’un paradis perdu, aussi dramatique qu’hypnotique. C’est bien de cela qu’il est question ici, car en filigrane se lit la propre expérience des incendies de forêt vécue par l’artiste en 2016, dans le sud de la France.
Damien Comment, dans une stratégie de composition qu’il emprunte à Friedrich, réussit le tour de force de réaliser deux portraits en un, dont les contours s’entrecroisent : celui de l’homme, contemplant la nature dans une posture paradoxale, oscillant entre extase et horreur et celui du paysage ou de la nature toute entière qui revêt tour à tour ses deux visages. Le jeune héros de la scène nous les rappelle avec urgence, à l’heure où les enjeux climatiques devraient être au cœur de tous les débats.
Ainsi, dans ce contexte, de nombreuses questions sont légitimes : quel paysage les enfants de demain auront-ils à contempler ? Que restera-t-il des pâturages franc-montagnards en 2074 ? Que seront devenus les sapins emblématiques de ces lieux si caractéristiques ? Aurons-ils disparu ? Ne restera-t-il que l’odeur du feu et le parfum vieilli des « Arbres magiques » ? Ou au contraire, l’espèce humaine sera-t-elle le témoin d’un glorieux renouveau de la nature ? Ainsi, finement, l’artiste fait émerger des interrogations auxquelles seul l’avenir pourra répondre…
Aline Rais Hugi, responsable de la Collection jurassienne des beaux-arts
[1] Sarah Stékoffer. Les contes désenchantés de Damien Comment. Le Quotidien Jurassien, 12.11.2022, p. 30.
